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"Normes abusives, pénurie de main d'oeuvre... : les obstacles à la réindustrialisation de la France et la fin d'un cycle industriel

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Tribune de francis Journot sur Marianne le 11 aout 2022   - Un nouveau schéma économique pour la France est possible, argumente Francis Journot, consultant et entrepreneur, dans une tribune. À certaines conditions…

Nous déplorons le déclin de l’industrie depuis la fin des 30 années glorieuses et il est à craindre que nous ayons atteint le point de non-retour dans la plupart des secteurs industriels. Aussi convient-il maintenant, afin de tracer de nouvelles perspectives économiques, d’analyser les raisons de cette désindustrialisation. Les économies suivent généralement le même cheminement agricole, industriel puis des services. Maintenant, l’économie quaternaire ou numérique se nourrit de services (uberisation) mais aussi d’interdépendances et d’interactions avec les stades primaires et secondaires qui ont structuré les économies de pays. Ainsi, les pays les moins développés dont ceux d’Afrique subsaharienne, ne peuvent enjamber une progression des cycles, de même que les pays anciennement industrialisés se heurtent le plus souvent à un effet cliquet post-industriel qui empêche un parcours inverse. 

En effet, l’attrait de l’emploi industriel auprès de populations paysannes puis la tradition au sein de familles ouvrières et l’influence sociale, ont assuré autrefois une abondance de main-d’œuvre qualitative. Les générations se succédaient dans des entreprises souvent réputées et premiers employeurs régionaux qui offraient la sécurité de l’emploi et chez lesquels les salariés étaient fiers de travailler.  

Le processus qui nous entraine vers la fin du cycle industriel, s’est surtout intensifié à partir des années 80. La financiarisation a fait voler en éclats un modèle patrimonial et paternaliste incarné par les derniers capitaines d’industrie. Il ne s’agit pas ici d’idéaliser des méthodes et conditions de travail qui étaient souvent rudes mais cette culture fédérait et les français bénéficiaient du développement industriel.

Pour mieux faire passer la pilule des fermetures d’usines et des délocalisations, François Mitterrand faisait le choix d’une société de l’assistanat. Le gouvernement instaurait le RMI en 1988 et avait soutenu l’initiative des Restaurants du Cœur de Coluche en 1985.  Cette politique a contenu le risque de révolte ouvrière et favorisé l’acceptation d’une mondialisation ainsi que d’une Union européenne dont les règles mortifères ont fabriqué en France, de nombreux chômeurs et allocataires de minimas sociaux.

Ainsi, dans la France de 2022, de multiples possibilités s’offrent aux jeunes français qui entrent dans la vie professionnelle et ceux-ci boudent généralement l’industrie. Depuis plusieurs décennies, les enfants et petits ou arrière-petits-enfants de ceux qui avaient autrefois quitté la ferme pour l’usine, préfèrent souvent, lorsque la production cesse, rechercher ensuite un emploi dans d’autres secteurs. Apres un chômage de masse endémique durant de nombreuses années, la pénurie de main d’œuvre ou de vocations, affecte l’industrie. Cela illustre l’évolution du travail ainsi que le phénomène des cycles. Aussi, une réindustrialisation massive de notre pays est peu probable. Certes, la fin du cycle industriel français ne signifie pas une absence totale d’industrie ou qu’il faille se resigner à la désindustrialisation. Quelques industries parviennent à maintenir tout ou partie de leur production en France. 

Mais le constat du recul de l’emploi industriel manufacturier, est implacable et la faible robotisation de l’industrie française n’explique pas cela. Le gouvernement brandit souvent un chiffre de 4 millions de personnes employées dans l’industrie mais hors emplois de réparation, maintenance, opérations externes, tri, manutention, emballage et expédition, le nombre d’ouvriers qualifiés ou non, occupant un emploi manufacturier de transformation de biens non alimentaires, est maintenant inférieur à 1 million pour 28 millions d’actifs. L’écologisme et la transition vers les véhicules électriques, vont bientôt causer la disparition de plusieurs centaines de milliers d’autres postes en France et en UE.

Quand un pays désindustrialisé qui a perdu la plupart de ses savoir-faire et de ses écosystèmes, relocalise quelques activités robotisées dépendantes de chaines de valeur mondiales avec peu d’emplois à la clé ou lorsqu’une industrie marque une halte pendant quelques années en France tant qu’elle est subventionnée, il est alors exagéré d’évoquer une réindustrialisation. Dans une France aux coûts salariaux élevés et exposée à d’autres formes de dumping, celle-ci semble relever du vœu pieu. 

La relocalisation en France d’industries à présent robotisées est souhaitable mais le contribuable doit-il subventionner des entreprises chinoises qui s’installent au cœur de l’Europe pour capter les parts de marché de leurs concurrents français et européens. Cette vision mondialiste s’oppose au modèle de l’industrie forte qui enrichissait la France et profitait à tous. Les plus grands fleurons ont certes souvent bénéficié de larges subventions de l’État français mais participaient en retour, à la création d’écosystèmes disséminés sur la France, à la structuration et à l’enrichissement des territoires, gêneraient des millions d’emplois et des cotisations qui finançaient les services publics etc.

Aujourd’hui, nous ne parvenons que rarement à trouver des biens courants de consommation français (hors agroalimentaire). Des personnalités politiques prétendent vouloir réindustrialiser mais oublient que ce sont les dirigeants d’entreprises qui décident de leur propre politique industrielle et quelques subventions ne convaincront pas. Car de nombreux obstacles s’opposent à une réindustrialisation de la France : écologisme anti industriel, multiplication des taxes et normes écologiques abusives, euro surévalué, environnement fiscal, administratif et syndical peu conciliant, difficulté de trouver des candidats formés, coût salarial et de formation élevé, 35 heures, incompatibilité avec le pouvoir d’achat de consommateurs mais aussi manque d’intérêt pour l’emploi industriel dans une France qui, même si on le regrette, s’éloigne de son cycle industriel etc. De plus, la hausse du prix de l’énergie qui impacte déjà un grand nombre d’entreprises, pourrait décourager des projets de modernisation. Alors rares sont les entreprises françaises qui projettent aujourd’hui de relocaliser leur production en France.

Aucun des programmes présentés lors des dernières élections, n’était susceptible, dans le contexte, de l’Union européenne, d’assurer la pérennité du modèle social français. Une forte croissance pourrait favoriser une baisse des déficits et de l’endettement mais il serait peu aisé d’augmenter celle-ci dans ce cadre. Aussi nous faut-il penser, afin de sortir d’une spirale dangereuse, une stratégie ambitieuse qui soit néanmoins compatible avec les règles européennes. Un nouveau schéma économique qui pallierait, au moins partiellement, le coût de la désindustrialisation de la France, est cependant possible.

Notre pays dispose de l’atout de la francophonie et de liens uniques avec un continent africain aux portes de l’Europe qui pourrait compter 2.5 milliards d’habitants en 2050. Les institutions internationales et l’Agence Française de Développement (AFD), handicapées par leur fonctionnement technocratique et une vision par trop idéologique, échouent en matière industrielle depuis 60 ans. Mais l’extrême pauvreté en Afrique subsaharienne est inquiétante et pour les africains, le temps presse : lors d’une interview réalisée par la BBC le 22 juin 2022 à propos de l’immigration, un jeune subsaharien déclarait "90% de mes amis veulent partir" d'Afrique. Aussi faut-il faut un projet clair doté d’une méthode efficiente. Le programme Africa Atlantic Axis ou Plan de régionalisation de production Europe Afrique, propose depuis 2020, un transfert de chaines de valeurs mondiales (CVM) souvent installées en Chine. Cette stratégie favoriserait le développement de l’Afrique subsaharienne tout en procurant de nouvelles perspectives et de la croissance à nos entreprises industrielles et à l’économie française ou européenne.    

  

Francis Journot est consultant et entrepreneur. Il dirige le Plan de régionalisation de production Europe Afrique  ou programme  Africa Atlantic Axis

et fait de la recherche en économie dans le cadre du projet International Convention for a Global Minimum Wage. Il tient le site Collectivité Nationale   

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