Réduire notre dépendance à la Chine, c'est possible!
Le Figaro/Tribune par Francis Journot, publiée le 08 juin 2020 - En s’appuyant d’avantage sur son marché régional, l’Europe est capable de réduire significativement sa dépendance à l’égard de l’industrie chinoise, estime l'entrepreneur Francis Journot.
Francis Journot est consultant, entrepreneur et ancien éditeur de presse professionnelle économique et sociale. Il fait de la recherche en économie dans le cadre des projets International Convention for a Global Minimum Wage et Plan de régionalisation de production en zone Europe Afrique. Il tient le site Collectivité Nationale.
Peu de risques de pénuries ou de fortes augmentations des prix
À la faveur d’une crise qui nous rappelle la fragilité de nos existences et d’un confinement qui nous a fait prendre conscience que l’on peut se priver deux mois durant de surconsommer, il apparaît certain que nous serions capables de survivre à une période de transfert de l’industrie chinoise. Certains produits pas toujours indispensables pourraient se raréfier mais rassurons-nous, la plupart des importations continueraient d’affluer car les entreprises et leurs actionnaires n’apprécient guère que les consommateurs désertent les boutiques. Chaque recherche de nouveaux sous-traitants obtiendrait à travers le monde, une multitude d’offres de services compétitives et des centaines de milliers d’ingénieurs voudraient participer à l’élaboration de processus de production. Quant au domaine vital de l’alimentaire, les pays européens sont peu tributaires du reste du monde. Aussi, il est peu certain que nous devrions craindre de réelles pénuries ou une augmentation importante des prix de nos biens de consommation mais nous pourrions en revanche, consommer moins mais mieux et nous réjouir de relocalisations qui sortiraient au fil des mois et des ans, des millions d’européens du chômage et de la pauvreté.
Un nouveau paradigme européen s’appuyant sur une régionalisation élargie de la production et des échanges incluant davantage l'Afrique
Augmentation des salaires et des coûts de fabrication dans les pays émergents ou en développement s’accompagnant d’une baisse des investissements directs, vols de technologies et contrefaçons, coût environnemental du transport et exigence du consommateur pour des produits plus locaux, nous assistons depuis plusieurs années à des phénomènes qui indiquent ou provoquent un recul de la mondialisation certes pas encore manifeste mais la crise du Covid-19 et la hausse du chômage pourraient accentuer une tendance à la régionalisation des échanges. L’Europe pourrait initier un nouveau paradigme européen de régionalisation des chaînes de valeur ou de production dans le cadre de l’UE ou d’une communauté économique moins politique si celle-ci disparaît. Mais la relocalisation d’activités en France ne serait guère aisée. Il faudrait s’exempter d’idéologies sclérosantes dont le postulat élitiste consistant à ne sélectionner que les secteurs dits stratégiques. Celui-ci a justifié la délocalisation d’autres activités et s’est avéré erroné. Les emplois manufacturiers généraient de nombreux emplois indirects et induits dont les cotisations et impôts, finançaient mieux les dépenses publiques, modéraient le coût du travail, permettaient de maintenir un meilleur niveau de formation technique qui profitait à l’ensemble des secteurs dont les plus stratégiques et participaient ainsi à un cercle économique vertueux.
La nouvelle conception des échanges ici proposée, diffère évidemment des préconisations peu réalistes d’autarcie et de fin de la mondialisation émises par l’ancien ministre de l’économie Arnaud Montebourg. Car au delà du slogan «made in France» et du thème de la réindustrialisation régulièrement exploités à des fins politiques par des personnalités en quête de publicité et d’électeurs mais souvent issus des partis de gouvernement dont les politiques économiques ont favorisé la désindustrialisation, subsiste la réalité du coût du travail mais aussi les écueils que représentent un syndicalisme dogmatique très politisé et les innombrables normes qui découragent les industriels. Les mécanismes de mutualisation et de péréquation du Projet Collectivité Nationale.fr seraient susceptibles de favoriser la création d’écosystèmes et d’emplois mais un assouplissement des traités et règlements européens ou nationaux qui alourdissent la gestion des entreprises françaises, serait également souhaitable.
De nombreux obstacles s’opposent à une relocalisation massive des emplois en France et même parfois en Europe
Avec un marché riche de 500 millions de consommateurs, la croissance relocalisable en Europe est énorme. Les pays européens à plus bas coûts connaîtraient le plein emploi mais nous pourrions nous heurter dans d’autres pays à une inadéquation de l’offre d’emplois industriels pour des demandeurs de travail peu séduits par ces débouchés. En France la main d’œuvre qualifiée a quasiment disparu dans beaucoup de secteurs industriels mais aussi dans bon nombre de pays d’Europe. Le coût de formation pour chaque poste avoisinerait souvent 20/50 K€ majoritairement supporté par l’entreprise mais ne garantirait pas que les candidats effectueraient longtemps des travaux souvent jugés pénibles. Aujourd’hui des PME de l’industrie ne parviennent pas à former plus d’un ou deux demandeurs d’emploi par an. Il est peu certain que l’industrie européenne parvienne à recruter tous les effectifs nécessaires. Par ailleurs, le niveau des exportations pourrait s’éroder après quelques années. La Chine va encore réduire les importations pour faire face à un chômage susceptible de fragiliser le pouvoir et les USA montrent une volonté forte de relocalisation depuis 2017. Les entreprises occidentales implantées sur son sol lui ont apporté les technologies qui lui permettront de satisfaire tous les besoins de ses consommateurs. Aussi, de nouvelles perspectives extra-européennes seraient plus difficiles à trouver et chacun des pays européens tenterait de tirer la couverture à lui pour s’approprier les parts de marchés au sein de l’Europe ainsi que c’est déjà souvent le cas aujourd’hui. Le secteur du luxe continuerait à tirer son épingle du jeu mais on peut craindre que des secteurs de pointe confrontés à une concurrence croissante dont celle de la Chine, voient le nombre de commandes diminuer. On pourrait espérer l’émergence de leaders européens dans de nouveaux domaines mais cela prendrait du temps. La France et les pays d’Europe se féliciteraient néanmoins de la réduction des importations et d’une prospérité retrouvée dans bon nombre de secteurs. Mais après un regain d’activité et une baisse du chômage, l’économie pourrait tourner en rond et renouer avec des faibles taux de croissance et d’emploi.
Croissance et emploi en Europe, pauvreté et démographie galopante sur le continent voisin, nous sommes confrontés à de nombreux défis
Alors nous sommes en face de ces défis mais aussi de plusieurs autres pour lesquels nous devrons tôt ou tard tenter de trouver des solutions. Parmi ceux-ci, le phénomène de démographie galopante d’un continent à moins de 150 kilomètres des premières côtes européennes qui pourrait compter deux milliards et demi d’habitants en 2050. Une importante part de ceux-ci tenteraient de fuir la misère et la faim en migrant dans une Europe affaiblie et guère capable de proposer des conditions de vie meilleures. Cependant, les fondements de notre civilisation, politiques et économiques, culturels et religieux n’y survivraient pas. Le chaos social et sécuritaire qui pourrait s’installer pourrait précéder ou surpasser l’effondrement climatique que promettent des écologistes partisans d’une idéologie de la décroissance à laquelle n’adhèrent sans doute pas totalement nos amis africains qui peinent à se nourrir. Aussi peut-être pourrions-nous, afin de résoudre notre problématique de croissance au cours des années à venir mais aussi en même temps contribuer au recul de la pauvreté dans un continent proche qui connaît une démographie exponentielle, réfléchir à un modèle élargissant notre coopération avec celui-ci.
La Chine pervertit plus qu’elle n’enrichit le continent africain
Aujourd'hui, la Chine compte mettre la main sur cet énorme réservoir de matières premières. Mais elle pervertit plus qu’elle n’enrichit ce continent en le submergeant de produits low cost provenant d’Asie et précarise davantage ainsi des artisans ou des petites entreprises qui fabriquaient des produits locaux. Les usines créées appartiennent à des sociétés dépendantes de Pékin dont les contremaîtres chinois dirigent durement des ouvriers comptant parmi les plus mal payés au monde. Ces bas niveaux de rémunération permettent ainsi à la Chine d’inonder les pays occidentaux de produits bas de gamme sans que les peuples africains y trouvent leur compte en matière d’avancées sociales. Mais cette colonisation rampante de plus en plus mal vécue, suscite de l’amertume.
A terme, davantage d’autonomie industrielle
Il est indispensable que l’Afrique se dote des moyens d’assurer la subsistance de sa population tout en prenant garde de préserver sa faune et sa flore. De nombreux ingénieurs souhaitant un essor de l’Afrique et du Maghreb accueilleraient avec enthousiasme ce projet transcontinental de création de co-entreprises au sein de clusters sectoriels. Ces nouveaux outils de production qui s’intègreraient d’abord dans des chaines d’approvisionnement européennes, favoriseraient le développement économique des pays et auraient vocation à leur faciliter l’accès à davantage d’autonomie industrielle. Le coût de l’installation des usines serait assuré par les enseignes ou marques destinataires des productions. Les entreprises, organisées en collectifs, pourraient ainsi bénéficier d’une mutualisation des coûts mais aussi d’une modularisation des productions dans certains secteurs. Ces activités procureraient de nouvelles opportunités locales à de jeunes générations aujourd’hui tentées par l’immigration vers l’Europe. Des fonds jugés inefficients parmi ceux alloués aujourd’hui au développement et au soutien des pays, pourraient être réorientés vers la construction des infrastructures nécessaires qui profiteraient ainsi à tous car il semble plus pertinent d’investir en amont en créant de l’emploi et en générant une augmentation du niveau de vie local plutôt qu’agir continuellement en aval.
En effet, l’assistance certes bienveillante et souvent indispensable renvoie cependant une image que ce continent souhaite effacer pour changer la perception du monde et progresser. Des groupements de sociétés rentables et en croissance attireraient certainement des capitaux mondiaux qui abonderaient ensuite les nouveaux projets et accompagneraient l’expansion du modèle à travers le continent pour en faire peut être un nouvel eldorado.
On peut penser qu'une hausse du niveau de vie en Afrique encouragerait l'éducation des enfants, l'émancipation des femmes et à terme, une réduction de la natalité
Ce partenariat prolifique pour l’Afrique le serait aussi pour l’Europe qui a besoin de nouvelles perspectives. La mise en œuvre du projet réclamerait le concours de nombreuses sociétés expertes en engineering industriel, énergie, construction, numérique, formation dans les nombreux secteurs, ressources humaines etc… Le nombre de postes à cheval sur les deux continents serait considérable. La France a conservé des liens privilégiés avec la plupart des pays et aurait une carte importante à jouer. Subséquemment, le continent africain pourrait à terme constituer pour l’Europe, un nouveau relais de croissance qui comblerait un affaissement de la demande chinoise d’autant que celui-ci compte autant d’habitants que la Chine. Leur pouvoir d’achat n’est pas comparable mais souvenons-nous qu’à l’aube de ce millénaire, le PIB chinois par tête était semblable à celui de la plupart des pays africains qu’elle a aujourd’hui entrepris de coloniser. Il est difficile d’appréhender toute la dimension d’un tel projet de régionalisation tant les implications et possibilités sont multiples en termes d’emplois et de création de richesse. Les prévisions démographiques annoncent un doublement de la population africaine d’ici trente ans mais on peut penser qu’une hausse du niveau de vie encouragerait l’éducation des enfants, l’émancipation des femmes et à terme, une réduction de la natalité. Une augmentation raisonnable et évolutive des salaires mensuels de production variant aujourd’hui le plus souvent entre 35 et 200 euros, pourrait accélérer cette mutation sociologique.
Il serait donc possible de construire une alternative à la dépendance chinoise. Pourquoi se résoudre à un maintien de nos industries en Chine favorisant une hégémonie qui entravera nos libertés et nous exposera certainement tôt ou tard au risque d’une guerre mondiale alors qu’une régionalisation des échanges nous procurerait l’opportunité de consommer moins mais mieux sans pour autant, compte tenu de la concurrence internationale, faire flamber les prix et nous offrirait de surcroît, une dynamisation économique et la création de millions d’emplois au moment où le chômage fait des ravages en Europe tout en permettant au continent voisin d’accéder à davantage de progrès social.