Régionalisation de l'Afrique
Bien que bénéficiant du dynamisme de pays émergents européens, la croissance de l’UE demeure très faible depuis le début des années 2000. Les plans de relance, plus politiques et idéologiques que réalistes, prônent une Europe numérique et écologique qui n’enrayera pas son déclin. Aussi nous faut-il penser un autre paradigme et appliquer un plan de régionalisation de chaînes de valeur mondiales (CVM) et des échanges dans une zone Europe Afrique pour localiser ou relocaliser plus près du consommateur, des opérations de production de biens de consommation, actuellement réalisées en Chine. Ce modèle restaurerait de la compétitivité et génèrerait beaucoup d’emplois dans cette zone.
L’industrie manufacturière des biens de consommation délocalisée ne peut pas revenir
Il serait peu raisonnable d’espérer, même si de nombreux consommateurs éprouvent maintenant une forte nostalgie à l’égard d’une fabrication autrefois française de nos biens de consommations, un retour massif dans l’hexagone d’entreprises industrielles. Maintenant que les tissus industriels sont pour la plupart détruits, des personnalités ou partis politiques qui ont encouragé les délocalisations et la vente de fleurons français, préconisent la réhabilitation du «made in France» pour créer des emplois. Mais la formation de nouveaux ouvriers en France serait le plus souvent trop coûteuse pour un résultat très incertain sur le plan de la compétitivité et les emplois à plus forte valeur ajoutée du numérique ne sauraient suffire à réduire le chômage. La multiplication des normes et taxes punitives dictées par les écologistes, achève de décourager des velléités de relocalisation.
Et la transition énergétique ne sauvera pas l’économie française ou européenne
Dans le climat de démagogie qui précède la campagne électorale présidentielle française et à défaut de réel projet économique, le postulat ou slogan de la rénovation énergétique qui créerait 1 ou 2 millions d’emplois en remplacement des emplois manufacturiers «d’hier», est repris en boucle mais le modèle de croissance verte aujourd’hui proposé apparait peu crédible. La transition énergétique ne constitue pas en tant que telle, un modèle économique pérenne et à part entière. Après la rénovation massive et subventionnée, le travail des entrepreneurs et salariés pourrait disparaitre. On cherche en vain une cohérence économique et écologique lorsque les travaux ou les emplois sont surtout financés par l’argent public et que la plupart des matériaux et outils de la transition sont importés de Chine.
Une alternative industrielle dont la croissance rejaillira sur l’Europe
Nos illusions à propos d’une Chine qui serait reconnaissante que nous lui ayons permis pendant quinze ans de concurrencer déloyalement nos industries pour lui permettre de se développer, s’envolent irrémédiablement. Apres lui avoir offert nos technologies les plus avancées, celle-ci vise maintenant le leadership dans au moins 10 secteurs du futur. Le relais de croissance que l’ouverture de son marché intérieur aurait pu nous procurer et dont nous pensions bénéficier en retour, ne sera jamais au rendez-vous. Il nous faut donc maintenant tourner cette page. Puisque le protectionnisme est impossible dans le cadre de l’UE, Il est temps de penser un paradigme qui s’appuierait sur une réorganisation des chaines de valeur, capable de générer de la richesse et un nombre important de nouveaux consommateurs. La relocalisation de quelques usines ou ateliers dans l’UE ne résoudrait pas ces problématiques fondamentales mais en revanche, l’élargissement à une zone qui comprendrait l’Afrique, permettrait de résoudre certaines équations dont celle de l’impossible concurrence aujourd’hui avec la Chine. Ainsi les salaires africains plus concurrentiels qu’en France et dans l’UE, renforceraient la compétitivité d’entreprises parfois en difficulté. Il est en effet préférable, en s’appuyant sur des mécanismes de péréquation et de mutualisation des coûts, de conserver des entreprises avec un nombre même réduit d’emplois industriels en France et en Europe plutôt que de voir ce qu’il reste de l’industrie manufacturière disparaître. Nous ne devons pas abandonner à la Chine la production de l’ensemble des biens de consommation de 2 milliards d’habitants aujourd’hui et de 3.5 ou 4 milliards en 2050 qui représenterait alors plusieurs centaines de millions d’emplois directs, indirects et induits. Ce niveau d’activité permettrait à des Etats africains de se doter progressivement des infrastructures vitales mais procurerait aussi à l’Europe, un fort regain de croissance.
Le capitalisme pourrait réussir là où l’humanitaire et l’idéologie échouent
Les dizaines de milliards d’euros qui irriguent chaque année l’aide au développement de l’Afrique et le transfert par la diaspora africaine de 85.2 Mrds de dollars en 2019 vers le continent, ne parviennent à faire reculer significativement la pauvreté. L’AFD (Agence française pour le développement) dispose d’un budget annuel de 18 Mrds d’euros dont une part importante est consacrée à l’Afrique. Avec une aide annuelle de 20 Mrds, l’UE est le premier bailleur de fonds du continent africain mais l’absence de vison stratégique d’ensemble et des accords technocratiques basés sur une analyse obsolète qui n’intègre pas les évolutions et enjeux géopolitiques, ne favorisent pas la marche de l’Afrique vers le progrès et l’autonomie. Les innombrables idées produites depuis un demi-siècle dans des livres ou diffusées par des thinktanks ou fondations, n’ont pas non plus permis le développement de l’Afrique.
Seul un programme concret purement économique et structurellement opérationnel dont l’efficacité en modèrerait le coût, pourrait initier un réel changement. Ce projet privé transparent, non condescendant et n’abusant guère d’une argumentation humanitaire parfois contreproductive, plutôt international et ouvert aux entreprises et investisseurs mondiaux que spécifiquement français, européen, américain ou africain, serait susceptible de convaincre l’ensemble des acteurs.
Une mutation économique de l’Afrique et des perspectives de croissance pour l’Europe
Un plan de création de parcs sectoriels d’activités (électroménager, informatique, meubles, équipements de sports, jouets, textile-habillement etc…) serait susceptible d’accélérer considérablement le développement économique du continent africain entier tout en le préservant de de la colonisation rampante de la Chine. Il serait cependant peu avisé de tenter d’industrialiser simultanément plusieurs dizaines de pays d’Afrique. Les économies des Etats sont certes distinctes mais une cohésion africaine qui éviterait des concurrences désordonnées et affaiblissantes, serait plus stratégique. Les clusters, d’abord généralistes, se spécialiseraient progressivement et se déploieraient à partir de pays parmi les plus sûrs de l’Afrique de l’Ouest et de l’Afrique Centrale, fortement alphabétisés et disposant d’un port maritime afin de faciliter des collaborations entre les entreprises du réseau ou les échanges avec l’Europe en attendant la réparation ou la construction d’autres infrastructures. Cependant, les effets économiques sur les pays avoisinants seraient rapidement bénéfiques. Entreprises portant des projets complémentaires ou demandeurs d’emploi, l’activité profiterait à toute la région et constituerait une alternative à l’immigration vers l’occident. Sécurisées et structurées, les zones d’activités satisferaient aussi à des exigences sanitaires et environnementales précises. Une aide au recrutement local et à la formation ainsi qu'une assistance juridique, fiscale et administrative, faciliteraient l’installation des sociétés étrangères. D’autre part, la volonté exprimée par les pays africains de bâtir un continent plus moderne et apaisé, pourrait se concrétiser autour de dispositifs militaires régionaux et partagés privilégiant particulièrement la sécurité et l’accueil des nouvelles implantations. Ainsi les enseignes souvent occidentales pourraient transférer dans les meilleures conditions, la fabrication auparavant chinoise de produits ou pièces surtout à destination de l’Europe. De nombreux ingénieurs africains souvent expatriés mais souhaitant l’essor de l’Afrique, accueilleraient certainement avec enthousiasme des propositions de création de coentreprises sous-traitantes qui collaboreraient le plus souvent avec des marques internationales au sein de groupements ayant vocation à devenir des écosystèmes industriels complets et performants. Cela initierait ainsi progressivement davantage d’indépendance industrielle africaine. La mise en œuvre nécessiterait en outre le recours à une multitude de sociétés européennes de services qui accompagneraient cette mutation. Les effets de cette mutation économique sur le pouvoir d’achat et la consommation africaine offriraient aussi aux européens, d’innombrables opportunités.
Il ne faut pas laisser le monopole des terres rares à la Chine
Pourquoi continuer à fabriquer en Chine la plupart de nos smartphones, tablettes, ordinateurs ou autre produits technologiques, si l’on pense qu’une autre gestion de l’extraction et de la transformation des terres rares nécessaires à leur fabrication, est possible. La Chine dispose certes actuellement de son monopole mais ne détient néanmoins que 30 % des réserves sous son sol. Dans le secteur automobile, l’urbanisation et le développement des réseaux routiers feraient bondir les chiffres des ventes mais les équipementiers et marques qui voudraient compter davantage sur un marché africain annuel qui pèsera rapidement 7 ou 8 millions de voitures neuves, devraient avancer leurs pions en installant une part de leurs chaines de valeur pour remplacer un parc de 60 millions d’automobiles important chaque année 6 millions de véhicules d’occasion souvent en piteux état qui asphyxient des villes entières.
Un potentiel indéniable de développement de l’Afrique qui convaincrait les institutions internationales et les entreprises
Parmi les raisons de l’échec du pharaonique projet d’électrification de l’Afrique proposé par l’ancien ministre Jean-Louis Borloo et lobbyiste du leader chinois de la 5 G Huawei, figurait probablement son coût de 200/300 Mrds d’euros. Celui-ci a certainement inquiété les potentiels financeurs publics internationaux, donateurs et pays d’Afrique dont les PIB souvent faibles n’auraient pas permis d’alimenter le fonds pendant dix ou quinze ans. Au nombre des autres écueils, on peut citer la faiblesse d’un pouvoir d’achat excluant la plupart des africains et le temps long de l’industrialisation à partir de bases productives ou commerciales insuffisantes ou inexistantes qui n’auraient donc pas pu permettre un retour sur investissement avant plusieurs dizaines d’années voire jamais ou le risque d’une absence de réel bénéfice humanitaire si l’on considère l’importance des capitaux que les institutions internationales auraient dû consacrer à cette cause au détriment d’autres parfois encore plus vitales.
Le Plan de régionalisation de la production en zone Europe Afrique nécessite un provisionnement de 10 à 12 Mrds d’euros pour financer les infrastructures principales et périphériques des 3 à 5 premières zones d’activités qui abriteraient la production de grandes entreprises internationales ou de sociétés plus modestes. Ces montants comprendraient le financement de la construction d’accès routiers, ferroviaires, portuaires ou aéroportuaires indispensables, la fourniture d’énergie, les travaux de voirie et la gestion des déchets, des lieux de vie, moyens de sécurité, habitations, écoles, centre médicaux, commerces etc... 1 ou 2 nouveaux clusters de dimensions variables pourraient voir le jour tous les 18/24 mois. Ainsi le programme, fondé sur l’efficience de mécanismes économiques et offrant des perspectives prometteuses de croissance, pourrait convaincre des secteurs d’activités de quitter la Chine pour l’Afrique. Les lourds investissements de fonds américains ou européens pour l’électrification de l’Afrique, ont besoin d’industries capables d’acheter l’électricité (Pour exemple, faute d’industries et de pouvoir d’achat, l’Afrique de l’Est produit plus d’électricité qu’elle ne parvient à en consommer.) Aussi, il n’est pas exclu que les marchés financiers accueillent ce nouveau modèle avec bienveillance.
L’objectif n’est évidemment pas de transformer ce continent en nouvel atelier du monde mais simplement de créer de nouveaux équilibres économiques et d’en restaurer d’autres pour mieux garantir la paix et la démocratie. Des écologistes opposés aux centrales nucléaires ou à charbon ne pourraient que reconnaitre la pertinence d’un modèle industriel soucieux de l’environnement dont l’énergie hydroélectrique assurerait la plus grande part de ses besoins en électricité. Nombreuses seraient les entreprises qui considèreraient l’intérêt de ne pas laisser «tous les œufs dans le même panier» chinois et décideraient de relever avec les africains, ce pragmatique défi de modernisation plus que jamais indispensable pour réparer des dégâts économiques causés par la pandémie Covid-19.
Francis Journot est consultant, entrepreneur et ancien éditeur de presse professionnelle économique et sociale. Il fait de la recherche en économie dans le cadre des projets International Convention for a Global Minimum Wage et Plan de régionalisation de la production en zone Europe Afrique. Il tient le site Collectivité Nationale.